Projet de loi 31 : la fin des litiges à la suite d’une cession de bail?

Avec l’adoption le 21 février dernier de la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, L.Q. 2024, c. 2, auparavant désignée comme le projet de loi 31, plusieurs informations ont circulé quant à la délicate question de la cession de bail. Certaines personnes ont pu avoir l’impression que l’adoption de la loi marquait la fin de la cession de bail, alors que d’autres ont pu comprendre qu’automatiquement, le refus d’une cession équivaudrait à une résiliation du bail. Face à cette confusion ambiante, il nous apparaît important de rectifier les faits, d’autant plus que les nouvelles dispositions sont d’application immédiate, sauf pour les cessions de bail déjà en cours.

Le régime antérieur

Avant l’adoption de la nouvelle loi, la cession de bail était régie exclusivement par les articles 1870 et suivants du Code civil du Québec1. Le droit à la cession étant d’ordre public, un locateur ne pouvait tout simplement interdire à son locataire de céder son bail2.

Un locataire désirant procéder à une cession de bail devait transmettre un avis au locateur, lui indiquant le nom et l’adresse de la personne à qu’il entendait céder son bail (le cessionnaire)3. Puis, l’article 1871 expliquait la marche à suivre :

« Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.


Lorsqu’il refuse, le locateur est tenu d’indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l’avis, les motifs de son refus; s’il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »

Art. 1871 C.c.Q.

Pour refuser la cession, un locateur devait donc remplir deux conditions, soit :

1. Invoquer un motif sérieux pour refuser la cession et indiquer ce motif au locataire;
2. Transmettre la réponse dans les 15 jours suivant la réception de l’avis de cession de bail.

La jurisprudence a eu à définir cette notion de « motif sérieux ». Selon celle-ci, le motif, pour être sérieux, doit être basé sur la capacité de payer du cessionnaire, sa potentielle insolvabilité ou des problématiques vécues dans le passé par celui-ci quant à son respect des obligations du bail4. Ainsi, en l’absence de motif sérieux, le locateur était donc tenu d’accepter la cession du bail. En cas de refus injustifié, le locataire pouvait alors de tourner vers le Tribunal administratif du logement pour faire valider la cession de bail, malgré l’opposition du locateur5.

On pourrait être sous l’impression, vu le battage médiatique autour du projet de loi, que ce régime n’existera plus. Or, il n’en est rien.

Les nouvelles dispositions

Pour bien comprendre, il faut se référer au libellé du nouvel article 1978.2 du Code civil, qui se lit ainsi :

« Le locateur qui est avisé de l’intention du locataire de céder le bail peut refuser d’y consentir pour un motif autre qu’un motif sérieux visé au premier alinéa de l’article 1871. Le bail est alors résilié à la date de cession indiquée dans l’avis transmis par le locataire. »

Art. 1978.2 C.c.Q.

Loin de remplacer les dispositions existantes touchant la cession de bail, le nouvel article vient plutôt ajouter au régime existant. Il existera donc dorénavant deux types de refus possibles pour le locateur :

  • Un refus basé sur un motif sérieux, qui ne conduit pas à la résiliation du bail;
  • Un refus basé sur un motif autre que sérieux, qui conduit à la résiliation du bail.

En ce sens, nous considérons qu’il est donc faux de prétendre que tout refus d’une cession de bail conduira automatiquement à la résiliation du bail. Il est à craindre que cette nouvelle catégorisation risque de créer de la confusion. En effet, on peut facilement imaginer un cas où un locateur voudrait conserver son locataire actuel, sans que celui-ci puisse résilier le bail. Le locateur pourrait alors invoquer un motif qu’il présente comme un motif sérieux pour refuser la cession.

Que devrait alors faire le locataire? À notre avis, lorsque le locateur invoque un motif présenté comme un motif sérieux, le locataire devrait s’adresser au Tribunal administratif du logement pour demander que celui-ci reconnaisse la cession de bail comme valide. Advenant que le locataire décide de quitter quand même, sans s’adresser au Tribunal, il pourrait être possible pour le locateur de déposer une demande en non-paiement de loyer ou en indemnité de relocation.

Dans le contexte de pénurie de logement et de hausse de loyers, il est probable que la plupart des locateurs accepteront le départ de leur locataire, pour pouvoir relouer le logement à meilleur prix6. Malgré cela, l’hypothèse que nous soulevons est fort plausible et elle risque de se produire à relativement brève échéance. Pour éviter les problèmes, voici donc quelques conseils.

Que doivent-faire les parties pour se protéger?

Conseils aux locateurs

D’abord, il est important de noter que le délai de 15 jours pour répondre à l’avis de cession de bail s’applique toujours. Une réponse transmise après ce délai, ou une absence de réponse, équivaut toujours à une acceptation de la cession du bail7.

Quant à la réponse elle-même, vu les conséquences diamétralement opposées qui découlent des deux types de refus, nous jugeons qu’il est essentiel que dans celle-ci, le locateur indique clairement s’il invoque un motif sérieux au sens de l’article 1871, ou un motif autre qu’un motif sérieux au sens de l’article 1978.2. Nous suggérons en outre, advenant que le locateur choisisse d’invoquer un motif sérieux, que sa réponse indique que ce refus ne donne pas droit à la résiliation du bail.

En effet, l’absence de clarté à cet égard pourrait potentiellement limiter les recours du locateur contre un locataire qui choisirait de quitter son logement en application du nouvel article 1978.2 du Code civil. La jurisprudence est de plus en plus exigeante quant à l’obligation d’information qui découle des obligations de bonne foi du locateur8. Le locateur doit donc éviter de se placer dans une position où sa réponse pourrait, aux yeux du tribunal, semer le doute dans la tête d’un locataire raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Une réponse claire et limpide, qui indique au locataire les conséquences du refus, est donc recommandée.

Conseils aux locataires

Afin d’éviter les conséquences néfastes, le locataire devrait s’assurer que le locateur est bien au fait que le bail est résilié à la date de la cession. À cet effet, une confirmation écrite du locataire suivant le refus de la cession de bail nous apparaît être une pratique recommandée. Une entente écrite avec le locateur confirmant la résiliation du bail est idéale mais, à défaut, une communication au locateur serait à tout le moins une bonne pratique. Elle pourrait être simple et se lire comme suit :

« À la suite de votre refus de la cession du bail, veuillez noter que je considère mon bail comme résilié en date du […], conformément à l’article 1978.2 du Code civil du Québec. »

Le locataire s’assure alors d’établir clairement les enjeux et d’aviser formellement le locateur de la date de son départ. Tout comme le locateur, le locataire est lui aussi tenu à un devoir d’information, qui découle des exigences de la bonne foi.

Conclusion

En conclusion, les nouvelles dispositions relatives à la cession du bail, loin de mettre fin aux litiges entourant cette question, risquent d’en créer de nouveaux. En effet, le Tribunal administratif du logement aura probablement à se prononcer, à relativement brève échéance, sur des litiges découlant de la confusion générée par les deux types de motifs qui peuvent être invoqués pour refuser une cession de bail.

Bien qu’elle offre davantage d’options aux parties, il nous apparaît cependant questionnable que la nouvelle loi conduise à deux voies complètement différentes, qui basculent sur un critère comme la notion de « motif sérieux », qui peut laisser place à l’interprétation. Espérons que la jurisprudence viendra baliser le tout davantage et que les parties impliquées prendront bien le temps de s’informer et de faire les choses dans l’ordre!

  1. RLRQ, c. CCQ-1991 (ci-après « C.c.Q. »). ↩︎
  2. Art. 1893 C.c.Q. ↩︎
  3. Art. 1870 C.c.Q. ↩︎
  4. Carpentier c. Corbishley, 2021 QCTAL 30337; Garon c. Stathopoulos, 2021 QCTAL 27861; Laflamme c. Gestion Reluc inc., 2019 QCRDL 19127. ↩︎
  5. Ce recours n’est pas spécifiquement prévu par le législateur, mais le Tribunal administratif du logement a toujours accepté d’entendre ce type de litiges. – Id. ↩︎
  6. Le locateur devrait alors appliquer les normes établies par le Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2, à défaut de quoi le nouveau locataire pourrait demander la fixation du loyer (art. 1950 C.c.Q.). ↩︎
  7. Art. 1871 al. 2 C.c.Q. Cet article demeure inchangé. ↩︎
  8. Résidence Les Écluses St-Lambert , s.e.c. c. Fontaine, 2022 QCTAL 35725; 6609 Parc, s.e.c. c. Quinn, 2020 QCTAL 3793; Quevillon Charbonneau c. Fortin, 2020 QCRDL 12525. ↩︎

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